Quelques mots sur la Smart Metrology
La Smart Metrology est un concept qui propose une évolution des pratiques métrologiques industrielles en tenant compte des nouveaux enjeux des données dans l’entreprise du XXIe siècle. Cette nouvelle façon de voir le rôle de la métrologie dans le monde industriel respecte les pratiques antérieures tout en introduisant des notions nouvelles, notamment orientées Big Data. Le concept de Smart Metrology est notamment développé depuis début 2014 par la société Deltamu, spécialisée dans le domaine de la métrologie, des statistiques et de l’optimisation industrielle.
Préambule
Depuis longtemps, la métrologie, dans le monde industriel, est souvent limitée à la gestion d’un parc d’instruments de mesure. Il s’agit de dresser l’inventaire des instruments dont l’entreprise dispose, d’identifier chaque instrument puis d’organiser la vérification métrologique desdits instruments, soit en interne si l’entreprise dispose d’un service « Métrologie », soit par l’intermédiaire de prestataires le plus généralement accrédités par un organisme signataire d’accords de reconnaissance multilatéraux. En France, l’organisme accréditeur est le COFRAC.
Ces pratiques de gestion de parcs d’instruments s’apparentent à ce qui se passe dans le cadre de la métrologie légale. Dans le domaine des échanges commerciaux, la vérification des instruments de mesure est l’une des bases de la confiance dans le résultat de la mesure, donc du prix facturé. Elle doit garantir la loyauté des échanges commerciaux, c’est-à-dire faire en sorte que les risques inhérents aux mesures soient identiques pour le client et le vendeur et ceci en tout lieu du territoire. Des décrets fixent les conditions de la vérification métrologique et les E.M.T. (Erreurs Maximales Tolérées) applicables à chaque type d’instruments de mesure utilisés pour établir le prix d’une transaction. Notons néanmoins que certains instruments ne font pas l’objet, à ce jour, de vérifications périodiques obligatoires (compteurs EDF, compteurs d’eau, …). La fréquence des vérifications (ou périodicité) est fixée elle aussi par décret. Dans ce monde, un appareil déclaré « Non Conforme » suite à une vérification périodique est, soit réparé, soit réformé. Aucune étude d’impact n’est obligatoire, l’essentiel étant, pour l’utilisateur, d’avoir respecté la périodicité imposée par le décret.
Enjeux de la métrologie industrielle
L’intérêt des industriels pour la métrologie a toujours existé car la mesure est au cœur de tous les processus industriels. Néanmoins, l’arrivée des normes qualité, et notamment la norme ISO 9001 (dont la première édition date de 1987), a déclenché une dynamique autour de la métrologie, principalement concentrée sur la conformité des instruments de mesure. Cette conformité s’établit généralement à partir de normes, AFNOR le plus souvent pour les entreprises françaises, ou des spécifications « constructeur ». Or, la qualité d’une mesure ne dépend pas uniquement de la qualité de l’instrument de mesure. Si un instrument de qualité est une condition nécessaire à une mesure de qualité, ce n’est pas une condition suffisante. Un résultat de mesure est le fruit de la mise en œuvre de plusieurs facteurs et chacun des facteurs, par ses imperfections, participe à l’imperfection de la mesure, c’est-à-dire à l’incertitude de mesure.
Depuis les années 1990, le concept d’incertitude de mesure fait l’objet de nombreux documents. Le principal référentiel utilisé par les métrologues pour évaluer les incertitudes de mesure est la norme NF ISO/CEI Guide 98-3 : « Incertitude de mesure – Partie 3 : guide pour l’expression de l’incertitude de mesure (GUM : 1995) ». L’utilisation de l’incertitude de mesure dans la déclaration de conformité fait également l’objet de normes :
- NF EN ISO 14253-1 décembre 2013 : « Spécification géométrique des produits (GPS) – Vérification par la mesure des pièces et des équipements de mesure – Partie 1 : règles de décision pour prouver la conformité ou la non-conformité à la spécification »
- NF ISO/CEI GUIDE 98-4 octobre 2013 : « Incertitude de mesure – Partie 4 : rôle de l’incertitude de mesure dans l’évaluation de la conformité »
Par ailleurs, le métrologue industriel dispose de normes et de guides pour mettre en œuvre une gestion dynamique de la vérification de ses instruments. Si, dans la métrologie légale, les périodicités sont imposées par décret pour garantir la loyauté des échanges commerciaux, elles doivent être déterminées avec soin dans l’industrie qui doit, quant à elle, garantir la conformité des entités qu’elle fournit à ses clients. Des vérifications trop fréquentes (c’est-à-dire des instruments déclarés conformes sans intervention de maintenance) induisent des coûts directs et indirects (immobilisation des instruments, coûts de logistique, …) inutiles quand des périodicités trop grandes, au contraire, peuvent induire des non conformités sur les instruments en les ayant laissés trop longtemps dériver. Dans ce cas, la non conformité sur les instruments peut potentiellement entraîner des non conformités sur les entités livrées, donc l’insatisfaction du client final. On peut notamment citer les documents suivants pour aider le métrologue à mettre en oeuvre des stratégies qui limitent ces risques :
- FD X07-014 novembre 2006 : « Métrologie – Optimisation des intervalles de confirmation métrologique des équipements de mesure »
- Guide du Collège de Français de Métrologie (CFM) : Surveillance des processus de mesure
Force est de constater que la mise en œuvre de toutes ces normes n’est encore souvent que balbutiante de nos jours. L’industrie peut manifestement fonctionner sans toutes ces dispositions qui visent à maîtriser la qualité des mesures, probablement parce que ladite industrie s’est construite avec l’idée que les mesures étaient « justes ». La façon de concevoir les entités et d’en fixer les limites de fabrication (tolérances, spécifications, …) permettent de tenir compte, souvent implicitement, de l’incertitude de mesure. Cette réalité a donc probablement conduit à exiger plus que nécessaire pour être sûr, dans une approche au pire des cas. Mais cette réalité induit des surcoûts qu’il est possible de réduire sous réserve de faire l’effort de sortir du modèle classique.
L’industrie a conscience de la nécessité d’optimiser son fonctionnement. Les problématiques du développement durable (consommation énergétique, de matières premières, pollution, …) et de concurrence internationale lui imposent de tendre vers l’efficience, c’est-à-dire vers le « juste nécessaire ». Les innovations technologiques, notamment la capacité à récolter, stocker et analyser les données pour optimiser la production (mais pas seulement), sont à l’origine du concept de l’Usine du Futur, appelée également Industrie 4.0 ou encore Smart Factory. Ce concept a fait l’objet d’un travail très documenté et particulièrement intéressant sous l’égide de la F.I.M. (Fédération des Industries Mécaniques) : Guide pratique de l’Usine du Futur.
Le périmètre de la Smart Metrology
Puisque l’industrie a décidé de nommer « Smart » son évolution vers l’efficience, la métrologie peut aussi, en se remettant en cause, suivre cette évolution et devenir « Smart » à son tour. Le concept de Smart Metrology s’inscrit donc dans la dynamique de la Smart Factory.
La Smart Metrology propose aux métrologues de faire évoluer leur métier afin qu’ils participent de façon active, non plus à la seule conformité des instruments de mesure mais aussi à la fiabilité des mesures afin que les décisions qui reposent sur lesdites mesures (déclaration de conformité, pilotage de procédés industriels, analyses de données [Big Data, Datamining, Machine Learning, …]) soient pertinentes. Le Smart Métrologue s’intéresse principalement à l’impact des mesures dans son entreprise plutôt qu’à satisfaire un auditeur qui vient généralement vérifier que les dates de vérification, le plus souvent arbitraires (non justifiées) sont bien respectées.
La Smart Metrology s’intéresse, entre autres :
- A la définition des tolérances;
- A la déclaration de conformité et aux risques associés;
- A la Statistique des Procédés (M.S.P ou S.P.C);
- A la fiabilisation des données mesurées (par inférence bayésienne par exemple);
- A la surveillance dynamique de la cohérence des résultats de mesure;
- …
Le dimensionnement
Force est de constater que malgré près de trente années de certification, la métrologie n’a pas beaucoup progressé au cœur de l’activité industrielle. Si le métrologue calcule (pas toujours) des incertitudes, ses collègues n’en tiennent pas vraiment compte. Tout se passe comme si elles étaient inutiles et il est important de comprendre pourquoi il en est ainsi. En fait, il est fréquent que les spécifications (tolérances, consignes, …) ne représentent pas le besoin fonctionnel réel du fait de marges de sécurité qui absorbent les incertitudes. En considérant la qualité des mesures, et en améliorant cette qualité, il y a probablement des gains de productivité importants à dégager grâce notamment à l’élargissement possible des tolérances.
Le pilotage des procédés
La maîtrise statistique des procédés (M.S.P ou S.P.C en anglais) est au cœur du pilotage des procédés industriels depuis les années 1970-80. Le métrologue est rarement sollicité par les personnes qui s’en occupent dans l’entreprise alors que la métrologie est indispensable à la fiabilité des mesures au cœur de cette stratégie. Il est donc essentiel que le Smart Métrologue maîtrise cet outil et surtout les enjeux de la mesure pour assurer la pertinence des indicateurs fréquemment utilisés (Cp/Cpk et Pp/Ppk notamment).
L’approche bayésienne au cœur de la Smart Metrology
Le J.C.G.M. a produit en 2013 le document n°106 (repris la même année comme norme internationale ISO/CEI Guide 98-4) qui ouvre le champ bayésien à la métrologie. Il s’agit de considérer l’incertitude de mesure dans la déclaration de conformité en tenant compte, quand elle existe, de la connaissance acquise (antérieure, appelée également « connaissance a priori ») sur le mesurande. Cette approche introduit le concept d’inférence bayésienne, inférence qui permet d’améliorer la connaissance de l’entité mesurée en tenant compte non seulement de l’incertitude de mesure mais aussi de la connaissance a priori du mesurande.
Smart Metrology et Big Data
La révolution industrielle en cours (Industrie 4.0 ou Usine du Futur) s’appuie essentiellement sur la valorisation des données pour mieux comprendre les procédés, donc pour mieux les piloter. Ces nouvelles technologies sont nées de l’incroyable capacité de stockage (et de partage) desdites données et de la puissance de calcul des ordinateurs (nécessaire pour les analyser), le tout connu sous le nom de Big Data. Les outils du Big Data, et notamment le datamining, sont probablement amenés à compléter, voire remplacer, les approches plus traditionnelles telles que la M.S.P. Ces outils imposent, pour être efficaces, de disposer de données, donc de mesures, dont la fiabilité doit être impérativement garantie. Dans ce monde-là, le Smart Métrologue a donc un rôle essentiel car la seule prise en compte de la qualité des instruments de mesure qui est de mise de nos jours ne permet pas de garantir la fiabilité des mesures, donc le succès de ces nouveaux outils.
Smart Metrology et ISO 9001 version 2015
De nombreux chapitres de la version 2015 de la norme ISO 9001 concernent, de près ou de loin, la métrologie, donc la Smart Metrology. Elle se doit évidemment d’être compatible avec les exigences des référentiels Qualité qui découlent, généralement, de la norme ISO 9001.
§ 5.3 – Rôles, responsabilités et autorités au sein de l’organisme
Pour définir le rôle du métrologue avec ses responsabilités et ses attributions dans l’entreprise.
§ 6.1 – Actions à mettre en œuvre face aux risques et opportunités
Pour apporter un éclairage de métrologue sur les notions de risques liés aux produits et aux mesures.
§ 6.2 – Objectifs qualité et planification des actions pour les atteindre
Pour s’assurer que les objectifs qualité fixés pour les produits, assortis des tolérances imposées, sont mesurables avec les moyens de l’entreprise.
§ 7.1.2 – Ressources humaines
Pour s’interroger sur le besoin de fonction métrologie dans l’entreprise. Les Hommes sont souvent au cœur des processus de mesure.
§ 7.1.3 – Infrastructure
Pour s’interroger sur l’adéquation des infrastructures (bâtiments, équipements, matériels, logiciels, technologies de l’information et de la communication…) avec les activités de métrologie à mettre en œuvre dans l’entreprise.
§ 7.1.4 – Environnement pour la mise en œuvre des processus
Pour s’interroger sur les conditions de mise en œuvre des mesures dans l’entreprise.
§ 7.1.5 – Ressources pour la surveillance et la mesure
Pour définir les besoins de mesure et en déduire les ressources et équipements adaptés, ainsi que pour définir les méthodes et techniques permettant d’assurer la validité des résultats, tels que vérifications, étalonnages, identification, etc.
§ 7.1.6 – Connaissances organisationnelles
Pour s’interroger sur les connaissances et informations métrologiques particulièrement utiles dans l’entreprise.
§ 7.2 – Compétences
Pour s’interroger, en lien avec la définition des responsabilités, sur les compétences requises dans l’entreprise en matière de métrologie, aux différents niveaux et fonctions de l’entreprise.
§ 7.3 – Sensibilisation
Pour s’interroger sur le niveau de sensibilisation utile dans l’entreprise concernant la métrologie et ses concepts d’incertitude et de risque.
§ 7.5 – Informations documentées
Pour aider à définir les règles concernant la gestion des informations et documents associés.
§ 8.1 – Planification et maîtrise opérationnelle
Pour planifier les étapes de mesure dans les processus de réalisation des produits.
§ 8.2 – Exigences relatives aux produits et services
Pour aider à exprimer les exigences relatives aux produits et les tolérances clients.
§ 8.3 – Conception et développement
Pour s’interroger sur les exigences fonctionnelles et de performance et exprimer leurs traductions opérationnelles.
§ 8.4 – Maîtrise des processus, produits et services fournis par des prestataires externes
Pour s’interroger sur les exigences et informations à transmettre aux prestataires y compris les critères d’acceptabilité.
§ 8.5 – Production et prestation de service
Pour définir et mettre en œuvre les activités de surveillance et de mesure aux étapes planifiées.
§ 8.6 – Libération des produits et services
Pour aider à définir les vérifications et informations à recueillir pour attester que les exigences relatives aux produits sont satisfaites.
§ 9.1 – Surveillance, mesure, analyse et évaluation
Pour définir les méthodes et techniques (notamment techniques statistiques) à appliquer dans l’entreprise et définir l’analyse des résultats associés.
Note : Sur cette analyse, je tiens à remercier chaleureusement mon ami Olec Kovaleski qui s’est livré à ce travail dans la cadre de la rédaction de l’un des chapitres du livre « Smart Metrology : De la métrologie des instruments à la métrologie des décisions »
Références
L’AFNOR publiera, courant 2016, un ouvrage dédié à la Smart Metrology. Ce livre, coécrit par M. Jean-Michel POU et Laurent LEBLOND a pour titre : « Smart Metrology : de la métrologie des instruments à la métrologie des décisions » :
https://www.linkedin.com/company/smart-metrology-by-delta-m
http://www.phimeca.com/Smart-metrology-by-Delta-Mu
http://www.controles-essais-mesures.fr/actualite-2480-decouvrez-la-smart-metrology
Avènement de la Smart Metrology
Vivez avec nous le lancement de cette nouvelle révolution métrologique le 9 juin 2016 à Clermont-Ferrand. Au programme de la journée : des tables rondes dédiées à la gestion optimisée (satisfaction des entreprises et des auditeurs) et à la métrologie et l’efficience industrielle, des témoignages de métrologues experts et passionnés, présentations de nouveaux projets… Save the date !