Article
Décembre
2021
Jean-Michel Pou
Président Fondateur Deltamu
Si vous voulez comprendre pourquoi ils font des normes …

La commission de normalisation de l’Union National de la Mécanique (U.N.M) vient de faire publier, via l’AFNOR, une mise à jour de la norme NF E 11-099 concernant les micromètres d’intérieur à 3 touches (alésomètre).

La version qu’elle remplace datait de 1993 … Compte tenu de toutes les évolutions de la métrologie internationale intervenues depuis cette date, cette rénovation s’avérait effectivement nécessaire. Pour les plus jeunes, en 1993, nous en étions encore au TELEX ! Nous en sommes désormais aux smartphones, à l’IIOT et à l’Intelligence Artificielle, cela fait un bond considérable dans l’évolution des connaissances et des technologies. Rappelons, pour mémoire, les principales évolutions normatives internationales qui ont marqué la métrologie depuis 1993 (Soit près de 30 ans …) :

 

  1. L’évolution du VIM, en 2008. Ce document est cité dans les références normatives sous la référence NF ISO/IEC Guide 99. Cette évolution introduit notamment une nouvelle définition pour le concept d’étalonnage, étalonnage à la base des opérations de vérification. Toutes les normes traitant d’étalonnage sont en principe impactées par cette évolution fondamentale. Voilà donc une raison intéressante pour faire évoluer une norme (très) ancienne mais nous verrons plus bas que, malheureusement, la commission n’a pas pris en compte cette évolution de la définition du concept d’étalonnage dans cette nouvelle version. C’est plus que regrettable, mais ce n’est malheureusement pas une surprise …
  2. L’évolution de la prise en compte des incertitudes de mesure dans les décisions de conformité fait l’objet, depuis 2012, de la norme ISO/IEC GUIDE 98-4. Il faut se rappeler ici que les groupes WG1 (en charge du GUM et de ses déclinaisons) et WG2 (en charge du VIM et de ses déclinaisons), tous deux réunis sous l’égide du B.I.P.M, sont les plus hautes instances de la métrologie internationale. Un petit groupe « d’experts », réunis dans le cadre d’un organisme de normalisation, fusse-t-il l’ISO, ne peut donc rivaliser, en tout cas sous l’angle théorique, avec les travaux de ces groupes de travail reconnus internationalement pour leur compétence. Ainsi, et alors que l’ISO reprend « mot pour mot, et dans dans son intégralité » le JCGM 106 pour en faire une norme internationale (en l’occurrence le GUIDE 98-4), le WG1 n’a, quant à lui, JAMAIS repris une norme pour en faire l’une de ses publications. C’est donc ici qu’on mesure la différence entre des experts reconnus et des « experts » (les «  » pour relativiser la qualité d’experts) d’un groupe de normalisation … On pouvait donc légitimement s’attendre à ce que cette évolution de la norme des alésomètres s’explique par la prise en compte de la « nouvelle » référence internationale sur le sujet de la prise en compte des incertitudes mais, que nenni ! Cette norme est probablement trop compliquée pour les membres de la commission U.N.M, même si elle a pourtant été traduite en français (sous la référence NF ISO/IEC GUIDE 98-4) et qu’elle a fait l’objet d’un fascicule de documentation publié en 2018 (3 ans, ça laisse le temps de le lire et de le comprendre) dont l’objectif est de l’expliquer (FD X 07-039). Sur ce thème, la commission de normalisation préfère se réfugier derrière un document à la valeur tout à fait discutable (il suffit de le comparer au GUIDE 98-4 pour s’en rendre compte) mais qui a le mérite d’être assez simple pour qu’un enfant de 3ème le comprenne : la norme ISO 14253-1. Qu’importe ce que pensent les vrais experts, on fait fi de cette évolution au point que cette norme fondamentale, au même titre que le GUM, ne fait même pas partie des références normatives de la nouvelle NF E 11-099 …

Note : Il est d’ailleurs curieux de constater que deux documents cohabitent dans la collection ISO, avec des approches très différentes pour traiter du même sujet. L’astuce pour réussir ce miracle se cache surement dans le titre de la norme qui ne fait pas mention explicitement (alors que c’est le thème principal de la norme), contrairement au GUIDE 98-4, de la question des incertitudes de mesure …

Finalement, il n’est pas compliqué de comprendre les motivations de cette évolution, elles sont écrites dans la page de garde :

Pour comprendre pourquoi cette mise à jour est importante pour les membres actifs de la commission (essentiellement des « étalonneurs », cf la liste des membres), il faut se tourner vers le COFRAC et les incertitudes qu’il valide pour les prestations d’étalonnage de ce type d’instruments. Et oui ! Pour déclarer la conformité en appliquant l’ISO 14253-1, il faut soustraire les incertitudes à la spécification. Avec les incertitudes actuellement validées par le COFRAC (±4 à ±5 µm pour les petites étendues), il est en effet très compliqué de pouvoir vérifier les EMT de la version de 1993 :

Ainsi, et plutôt que de bien vouloir introduire dans une norme de 2021 des évolutions marquantes intervenues depuis 1993 et donc de bien vouloir réfléchir, notamment, aux 4 éléments suivants :

 

 

Extrait du fascicule FD X 07-039 :

les « experts » ont préféré ajouter linéairement des incertitudes non pertinentes à des EMT de 1993 parfaitement arbitraires pour produire un document avec des EMT non seulement arbitraires (la somme d’un « truc » arbitraire et d’incertitudes mal évaluées) mais totalement irréalistes : tous les utilisateurs d’un alésomètre savent que la performance métrologique d’un tel instrument tient dans quelques petits micromètres …

Les membres de la commission ont donc réussi à faire une petite addition pour produire les nouvelles EMT, justifiant ainsi la mise à jour de la norme et son coût pour ceux qui souhaitent se tenir à jour et qui devront la payer !

Ce n’est ni scandaleux, ni surprenant, c’est juste pathétique et ça permet d’éclairer la raison d’être d’une norme « métrologie ». On veut juste pouvoir dire « conforme », dans les « règles de l’art » (qu’on arrange comme on veut), peu importe de savoir à quoi on est conforme. Et là, petit tour de passe-passe, il suffit d’augmenter les EMT de la norme pour pouvoir continuer son petit train train tranquillement, sans le moindre effort de compréhension des évolutions qui se jouent dans le métier.

Par ailleurs, la commission était tellement pressée à faire ses petites additions qu’elle en a oublié de rectifier une erreur historique et incontestable. Le mode de lecture d’un micromètre n’est que très rarement un vernier et en tout cas pas dans la première illustration qui est produite :

Le vernier doit son nom à M. Vernier qui, le pauvre, doit se retourner dans sa tombe …

En revanche, dans le cas suivant, il s’agit bien d’un vernier additionnel (et non pas d’un vernier avec vernier additionnel !), vernier servant à faciliter la lecture, donc à améliorer la résolution. On peut en effet, avec ce dispositif et sans avoir à faire une interpolation quand la ligne de foi est entre deux graduations du tambour, faire une lecture au 1/1000 (voire 1/2000) :

Mais ce n’est pas le seul oubli. La commission a également omis que le VIM avait supprimé, en 2008, le concept d’erreur d’indication (d’un instrument de mesure). Le VIM2 définissait l’erreur d’indication :

mais la dernière version (2008) l’a supprimée, probablement parce que les membres du WG2 ont compris ce qui est par ailleurs écrit explicitement dans la norme NF EN ISO 14978 (Spécification géométrique des produits (GPS) – Concepts et exigences généraux pour les équipements de mesure GPS) :

Si on comprend bien la situation, la norme NF EN ISO 14978 précise que l’erreur d’indication, telle que définie notamment dans la nouvelle version de la norme NF E 11-099, est en fait une erreur de mesure (d’où la suppression de la définition dans le VIM3). Cela n’a l’air de rien mais il faut se rappeler qu’un étalonnage sert, en principe, à quantifier les erreurs des instruments (le client paye pour cela !), que ce soit l’effet systématique (le modèle) et les effets aléatoires (les résidus). Et c’est bien de cela dont il s’agit avec la nouvelle définition du mot « Etalonnage » dans le VIM.

Or dans cette norme, on se contente de calculer des erreurs de mesure qui sont, par nature, le mélange des erreurs de l’instruments ET des erreurs propres au laboratoire d’étalonnage. Rappelons en outre que l’incertitude d’étalonnage représente l’erreur la plus grande que peut faire le laboratoire par lui-même, c’est à dire 4 ou 5 µm si on en croit le COFRAC. Donc, si l’alésomètre est parfait, le laboratoire pourrait trouver des « erreurs d’indication » de l’ordre de 4 à 5 µm, erreurs qui ne seraient que de son propre fait et sans aucun rapport avec l’instrument étalonné. J’espère que tout le monde me suit ici, c’est important …

Or, comme il a une incertitude de 4 à 5 µm, il ne pourra déclarer conforme l’instrument que si on additionne ses propres erreurs réalisées au cours de l’étalonnage (que la norme fait passer pour celles de l’instrument par la magouille de la définition retenue) et celles qu’il risquerait de faire à cause de ses propres facteurs d’incertitude, ce qui conduit au nouveau tableau …

Je ne sais pas si les lecteurs seront nombreux à arriver au bout de cette démonstration mais ce que nous pouvons retenir, pour résumer (et j’en suis très triste pour mon métier) :

  • La commission n’a fait aucun travail pour intégrer les évolutions de l’environnement « métier », VIM3 et Guide 98-4 notamment ;
  • La commission n’a rien fait d’autre qu’une petite addition aussi ridicule qu’inutile pour l’utilisateur, mais fondamentale pour eux. Elle ne travaille donc que pour elle-même ;
  • La commission se moque un peu (et c’est un euphémisme) du monde en mettant près de 30 ans pour faire cette addition scandaleuse sans même prendre le soin de corriger une erreur grossière, erreur grossière qui montre les motivations profondes de cette évolution : pouvoir utiliser une norme débile (ISO 14253-1, et j’assume !) à cause d’incertitudes d’étalonnage sur-évaluées (Cf FD X 07-039, et j’assume aussi !)

Chacun pourra croire ce qu’il veut mais l’avantage de notre métier, c’est qu’il repose sur de la physique et des mathématiques. J’entends par là qu’il n’y a pas d’idéologie, pas de dogme (encore que, on pourrait en reparler pour le GUM : G.U.M. : Il y a peut-être un hic…) et, par conséquent, qu’il existe une vérité quelque part.

J’attends donc avec impatience (et gourmandise) les réactions des auteurs de ce « chef d’œuvre », j’espère qu’ils se manifesteront pour défendre leur travail (comprendre « faire des additions » ;-)). En attendant, j’invite les métrologues à refuser des vérifications suivant cette norme et de profiter de cette prise de conscience pour exiger enfin que les étalonneurs pratiquent leur métier en respectant les règles de l’art. Prendre près de 30 ans de retard n’est pas seulement inadmissible, c’est un crime contre les générations futures ! Il y a encore en effet des gens qui pensent que la norme est une forme de vérité …

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