Évolution de l’ISO 9001 dans le monde : vers la fin de la métrologie ?
L’ISO publie chaque année une analyse de l’évolution de la certification dans le monde. Tous les continents, tous les pays, ne sont pas comparables en nombre d’entreprises certifiées mais cette enquête permet de voir des tendances.
L’enquête ne porte que sur les certifications ISO 9001. Evidemment, d’autres référentiels existent et l’étude n’est pas exhaustive en ce sens. On peut néanmoins penser qu’elle donne les tendances de fond car les entreprises ont souvent l’ISO 9001 comme base et un complément « métier » (type ISO 9100 ou ISO TS 16949 par exemple).
Note : Les courbes « noires » (Europe et Amérique du Nord) sont sur l’axe secondaire
A l’échelle « Monde », on peut constater un tassement du nombre d’entreprises certifiées. Après une période de croissance très marquée au début des années 1990, l’évolution marque le pas et le nombre de certificats semble stagner. On peut ici souligner que le référentiel, au cours de ses évolutions, s’est ouvert à une cible de plus en plus large. Très marqué « industrie manufacturière » au départ, son scope s’est élargi à tout type d’entreprises, de l’usine aux services. Par ailleurs, on peut aussi faire le constat que le nombre d’acteurs a cru largement depuis 1990, tant pour les consultants que pour les organismes de certification et de leurs auditeurs. Ce n’est donc pas à cause d’une pénurie de ressources sur le marché que la croissance s’est arrêtée, il faut aller chercher les raisons ailleurs.
Est-ce qu’une étude « Continent par Continent » peut fournir des informations ?
Europe
Note : L’Italie est sur l’axe secondaire
L’Italie et l’Allemagne semblent, en Europe, avoir connu un petit rebond entre 2015 et 2016. Il n’est évidemment pas possible de tirer la moindre conclusion sur ces chiffres, les tendances ne peuvent s’apprécier que sur le long terme. On peut regretter néanmoins que l’enquête n’en dise pas plus sur les profils des certifiés. Est-ce des industries manufacturières, des entreprises de service, des organismes financiers ? Qu’en est-il des mouvements entre ces profils ? La courbe globale ne parle pas assez car elle est probablement le fruit de mouvement entre lesdits profils sur la période. Ce serait intéressant d’en savoir plus …
Note : La Russie est sur l’axe secondaire compte tenu de la période 2007-2011 assez atypique
Le comportement de la certification en Russie est assez curieux. Le pic de l’année 2010 s’explique-t-il pour la grande dépression russe de 2009 (-7,8% suivant Wikipédia) avec une volonté de retrouver de l’activité en faisant reconnaitre ses compétences ? En tout cas, on peut constater sur ce graphique que la trajectoire après 2011 ressemble à celle de beaucoup d’autres pays …
Asie
Note : La Chine est sur l’axe secondaire
En Asie, seule la Chine continue de progresser. On remarque néanmoins ici aussi un tassement. La Chine, encore l’atelier du monde, a une industrie à forte dominante « Sous-traitance » mais aussi fabricant de produits « bas de gamme » qui inondent le marché mondial. Il n’est pas inconvenant de penser que les grands donneurs d’ordre mondiaux imposent aux usines chinoises d’être certifiées, pour garantir un niveau minimum d’organisation.
Les Amériques
Note : Le Brésil est sur l’axe secondaire
Note : Les USA sont sur l’axe secondaire
Pour cette région du monde, le Mexique connait encore une croissance du nombre de certificats. Mais le Mexique n’est-il pas l’atelier des grandes entreprises nord-américaines et leur fournisseur de produits « bas de gamme » ? Cette progression ne peut-elle pas s’expliquer pour les mêmes raisons que celles de La Chine ?
Afrique
Note : L’Afrique du Sud, l’Egypte et le Maroc sont sur l’axe secondaire
Les pays d’Afrique sont manifestement encore dans une dynamique de croissance de leurs entreprises certifiées. Là encore, il s’agit encore souvent de sous-traitance des grands pays industrialisés avec ce besoin de garantir un minimum d’organisation.
Ma conclusion
Même s’il est difficile de connaitre le nombre d’entreprises potentiellement certifiables par pays, ce qui permettrait de faire le ratio entre celles qui le sont et celles qui pourraient l’être, on peut émettre quelques hypothèses pour la France.
La DGE (Direction Générale des Entreprises) estime qu’il y a entre 30 000 et 50 000 entreprises françaises qui doivent muter vers l’Industrie du Futur pour assurer l’avenir industriel de la France. Avec ses 23 403 certificats, et sachant que toutes les entreprises certifiées ne relèvent pas du secteur strictement industriel, disons que nous avons probablement moins de 50% des entreprises sur lesquelles la France compte pour son avenir industriel qui ont fait le choix de la certification.
Pour autant, cela signifie-t-il que les autres travaillent moins bien que les certifiées ? La réponse est probablement non sans quoi la France ne compterait pas sur elles. En fait, il me semble que « tout le monde » a intégré les concepts de l’ISO 9001. Plus personne ne voit la relation client comme avant les années 90. Plus personne ne considère qu’il n’y a qu’à trier des pièces à réception et renvoyer les pièces mauvaises. Plus personne n’imagine signer une commande sans réaliser, sous une forme ou sous une autre, une revue de contrat. Si la certification est en panne, ce n’est pas à cause des principes de l’ISO 9001 mais surement parce que les entreprises n’éprouvent plus le besoin d’entrer dans le jeu de la certification pour faire savoir qu’elles font « de la qualité ». Le vrai auditeur est aujourd’hui le client et tout le monde le sait ! Avec le Web 2.0 et les réseaux sociaux, une entreprise défaillante est vite identifiée et ne survit pas …
Note : Il faudrait savoir ce qu’il en est des autres pays. Ce faible taux explique-t-il nos résultats décevants à l’export ou les grands pays qui nous devancent économiquement sont-ils dans le même type de situation devant la certification ? Je pose la question, le débat est ouvert … Néanmoins, et si j’en crois l’analyse du Ministre de l’époque M. Arnaud Montebourg (lire cet article), je crains que le problème ne vienne pas de là …
La vision ISO 9001 étant passée « dans les mœurs », l’inquiétude n’est plus, de nos jours, sur les principes de la qualité mais sur l’obsolescence de notre outil de production. L’urgence est donc, et beaucoup l’ont surement compris, dans la rénovation de l’outil industriel plus que dans un audit parfois trop pointilleux et souvent mal vécu. La qualité n’est pas morte, loin s’en faut, mais la certification « procédurière » n’a probablement pas beaucoup d’avenir. Il n’y a rien de très surprenant à ce constat d’ailleurs car la certification, comme tout « produit/service », à un cycle de vie et ces cycles résistent rarement au temps qui passe …
Pour finir, et revenir sur le métier qui me passionne depuis toujours, je vois dans ce déclin et cette fin quasi annoncée (ce n’est qu’une question de temps) une véritable opportunité. Dirigeant de nombreux laboratoires d’étalonnage dans le passé, je crois n’avoir jamais eu un seul client qui nous ait confié ses étalonnages pour d’autres raisons que l’obtention et le maintien de la certification. C’est tellement vrai que le mot « Métrologie », science des mesures, en a subi les conséquences. De nos jours, et depuis l’ISO, la Métrologie se limite (trop) souvent aux seuls étalonnages.
Les 50% de candidats à l’avenir industriel de la France ne font pas de « Métrologie » comme l’entendent, à tort, les acteurs de la certification. En revanche, ils mesurent forcement chaque jour pour piloter leurs procédés et satisfaire leurs clients. Les nouvelles technologies imposeront de mesurer encore plus, mais surtout encore mieux ! Le Big Data ne parle que de capteurs et de traitements de données. Mais là, ce ne sont pas les instruments qui doivent être simplement conformes, ce sont les données qui doivent être fiables. Et tout métrologue sait que si un instrument correct est une condition nécessaire à une donnée fiable, elle n’est en aucun cas une condition suffisante ! Il faut considérer tous les autres facteurs pour être vraiment pertinent … Et puisque « le vrai certificateur de la qualité produite aux justes coûts » est, et restera toujours, le client, on a tous collectivement intérêt à revoir le rôle du métrologue dans l’entreprise. A terme, la petite étiquette verte qui plait tant encore aujourd’hui n’aura plus personne à séduire dans l’avenir. En revanche, l’entreprise devra toujours avoir des clients pour exister et sa survie dépend en grande partie d’une métrologie différente, axée qualité des données plus que conformité des instruments.
Pour conclure, je dirai simplement que si la certification disparaît, la métrologie telle que nous la connaissons aujourd’hui suivra la même destinée mais les Smart Métrologues pourront s’exclamer : « La Métrologie est morte, Vive la (Smart) Metrology ! »