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Les étalonnages coûtent chers, autant qu’ils servent !

Plus les années passent, plus les résultats d’étalonnage s’entassent… Malheureusement et encore de nos jours, ils ne servent malheureusement qu’à remplir des dossiers d’archives, les résultats obtenus et les incertitudes associées étant parfois saisis (mais ce n’est pas toujours le cas) dans un logiciel, Excel ou autre, sans être vraiment exploités…

Alors que les métrologues sont sensibilisés, et chaque année un peu plus, aux incertitudes de mesure, il est stupéfiant de constater que finalement, ces dernières ne servent pas à grand chose. Alors, pourquoi les estimer et, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, pourquoi donc les évaluer ????

Par ailleurs, il est admis que plus l’information est abondante, plus ce que nous en déduisons est fiable. Par exemple, tout le monde sait, ne serait-ce qu’intuitivement, qu’un sondage réalisé à partir de plusieurs milliers de personnes est plus fiable (sans être juste pour autant) qu’un autre réalisé sur quelques dizaines. C’est pour cette raison que les métrologues multiplient les mesures pour évaluer un écart-type (15, 30, … même si parfois, on se contente de 3 !). Il s’agit clairement d’améliorer la connaissance…

Notre vision culturellement trop déterministe nous empêche de nous enrichir de toutes les informations disponibles. Alors que les métrologues savent qu’il y a une incertitude de mesure, même au plus haut niveau dans la hiérarchie des laboratoires, ils s’entêtent à faire exclusivement confiance à la dernière valeur disponible. Ce constat se traduit par notre habitude commune de représenter « valeur mesurée » et « incertitude de mesure » de la façon suivante :

mesure et incertitude

Représentation usuelle de la mesure et de son incertitude

Or, l’idée même d’incertitude de mesure devrait nous inciter à relativiser cette croyance. La valeur mesurée est une (et une seule !) des valeurs qu’il est possible d’obtenir lorsqu’on mesure une valeur vraie donnée (inconnue) avec un processus qui exprime une incertitude donnée. Pour preuve, il suffit de répéter la mesure, à l’instant et/ou en changeant l’un ou l’autre des facteurs du processus (temps, lieu, opérateur, moyen, …), pour se rendre compte que la valeur mesurée n’est pas toujours la valeur la plus probable !

Si, lorsqu’il s’agit de déclarer la conformité d’un objet ou l’opportunité d’un réglage, la valeur retenue pour décider « vaut ce qu’elle vaut » (et l’action est bonne ou pas ?), le cas des étalons est un peu différent. En effet, un étalon sert, par définition, à étalonner. La connaissance de sa valeur « vraie » devrait donc être un objectif prioritaire pour « l’étalonneur » (c’est à dire le métrologue qui fait des étalonnages). Or, dans son déterminisme culturel, il se soumet, pendant toute la période d’utilisation desdits étalons, à la dernière valeur donnée (incertaine par nature) par l’étalonneur de niveau « supérieur ».

Mais d’année en année, n’est-il pas possible de tenir compte des informations disponibles pour améliorer notre connaissance ?

Prenons un exemple réel pour tenter de répondre :

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Exemple de fiche de vie pour une bague lisse étalon

Chacun pourra comprendre, en s’appuyant sur ce graphique d’évolution, que la bague ne subit pas réellement, dans sa structure (impossible physiquement), les variations observées. Le fait d’observer de telles « secousses » démontre l’existence des incertitudes. La bague évolue manifestement mais les valeurs que le laboratoire mesurent à chaque étalonnage subissent d’autres effets, bien indépendants du comportement de la bague elle-même. En revanche, dans ces valeurs se mélangent une dérive (liée à la bague) et du « bruit » (lié à l’étalonnage). La valeur la plus probable de la réalité de la bague n’est donc pas, malgré nos croyances, la dernière valeur mesurée mais « quelque chose » qui se cache derrière les apparences.

L’approche bayésienne, mise en avant dans la nouvelle norme NF ISO/CEI Guide 98-4 dans le cadre de la déclaration de conformité, permet d’envisager une approche différente… Il s’agit de réviser (loi dite « a posteriori ») la dernière valeur mesurée (nouvelle information) sur la base des connaissances (loi dite « a priori »).  En effet, les étalonnages précédents, souvent nombreux, permettent d’établir un « a priori » (c’est à dire une valeur attendue de la bague à la date de son étalonnage périodique) au travers, par exemple, d’un modèle linéaire. Cet « a priori » peut être révisé à partir de la valeur mesurée lors de l’étalonnage pour donner la  « valeur la plus probable » qui tient compte non seulement de la dernière valeur mesurée (celle prise en compte habituellement) mais aussi de toutes les autres valeurs (incertitudes comprises) obtenues précédemment.

Les formules (valeur et incertitude associée) de la révision, dans le cas d’une incertitude gaussienne sur la valeur « a priori » (loi dite « a priori ») et d’une incertitude gaussienne sur la mesure sont les suivantes :

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Révision bayésienne de la valeur mesurée, eu égard à la connaissance « a priori »

Note : Dans le cas de cette figure, nous sommes dans un processus de mesure « simple » pour lequel a = 0 et b=1.

En appliquant cette « vision » à chaque étalonnage périodique, et en définissant la valeur « a posteriori » à partir d’un modèle linéaire dont les paramètres sont calculés (à l’aide de l’application M-CARE) à partir des résultats d’étalonnages précédents, on obtient les valeurs révisées suivantes, pour l’étalon concerné :

V Révisées

Tableau des valeurs mesurées (étalonnage), de valeurs extrapolées (à partir des valeurs précédentes) et des valeurs révisées (qui devraient être utilisées en lieu et place des valeurs mesurées)

La figure ci-dessous montre les lois de distribution « a priori » (32,0005 ± 0,0015) mm, de mesure (31,9999 ± 0,0016) mm et « a posteriori » (32,0002 ± 0,0011) mm liées au traitement du dernier étalonnage :

Lois de distibution

On pourra remarquer l’intérêt de cette démarche. Non seulement la valeur retenue pour l’étalon n’est plus la valeur mesurée (32,0002 mm au lieu de 31,9999 mm), elle tient compte de la connaissance acquise via les étalonnages antérieurs, mais l’incertitude sur la connaissance de l’étalon s’est améliorée de près de 27 % ((0,0015 – 0,0011)/0,0015) grâce aux dépenses antérieures et à ce jour habituellement « oubliées ». Voilà de quoi se rassurer quant à l’utilité des étalonnages périodiques !

D’aucuns appellent « logiciel de gestion » des logiciels qui, finalement, ne font rien de plus que ce que nos anciens faisaient en utilisant des semainiers…

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Semainier industriel

A leur époque, et faute de moyens de calculs et d’analyses, le métrologue ouvrait chaque mois le « bon » tiroir (ie du mois en cours) et réalisait les étalonnages prévus. De nos jours, les logiciels ne peuvent plus se contenter à « mettre de la couleur à ces anciennes pratiques ». Il faut que les données soient exploitées, car elles ont coûté !

Toute donnée non exploitée est inutile, surtout si elle ne sert qu’à faire plaisir à un auditeur. Elle doit surtout permettre de satisfaire les clients de l’entreprise sans quoi elle ne fait que coûter, et le client finira par aller voir ailleurs car il veut en avoir pour son argent !

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