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De l’évidente inutilité des étalonnages périodiques calendaires…

Si la pratique a fini par nous convaincre que les étalonnages périodiques calendaires étaient une bonne chose, il suffit de les replacer dans leur contexte historique pour s’imposer une réflexion salvatrice. Il convient donc, dans un premier temps, de rappeler que la métrologie légale les a inventés pour garantir la loyauté des échanges commerciaux, tant pour les consommateurs que pour les commerçants.

Il est aisé d’apprécier, dans le monde du commerce, le principe dit du partage des risques : soit mon rôti est plus gros qu’annoncé par la balance et je suis, en tant que client, « gagnant », soit il est plus petit et mon fournisseur (le boucher) est le gagnant du jour. Sur du long terme, donc en moyenne, et puisqu’il est un jour plus gros et un jour plus petit, je tends vers l’équilibre et je peux me satisfaire de cette stratégie. Dans ce monde là, un contrôle périodique de la balance est un outil indiscutablement puissant. Mais il faut aussi se rappeler qu’ici, la balance est, soit conforme à la réglementation et le boucher a le droit de continuer à l’utiliser en l’état, soit elle a dérivé au point d’être non conforme et il doit alors la faire régler. Il suffit donc de respecter la périodicité imposée pour ne pas être sanctionné. Si l’instrument n’est plus conforme, pas d’étude d’impact, un ajustage réussi suffit !

En copiant ce modèle parfaitement adapté à son contexte, les industriels sont passés à côté de l’essentiel. Leurs clients n’attendent pas d’eux de la loyauté, mais la garantie de la conformité du produit et/ou du service livré. En cas de défaillance, le client subit toutes les conséquences et les conséquences peuvent être graves… Imaginez une pièce critique d’un moteur d’avion qui serait défaillante, et imaginez vous surtout à l’intérieur de l’avion concerné pour bien comprendre la question poséeOn mesure bien, à l’aune de cette situation, à quel point l’arbitraire de la périodicité n’a pas sa place : il faut que, chaque jour, les mesures soient suffisamment fiables pour que les décisions prises quotidiennement soient pertinentes.

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Il est confortable de croire que les étalonnages périodiques calendaires répondent à la seule question qui devrait nous animer, la seule question qui anime les Smart Métrologues : quels sont les risques associés aux décisions ? De nos jours, Clients, Fournisseurs et Auditeurs semblent s’accorder sur cette pratique pourtant facilement critiquable… Et cette croyance est coûteuse, comme nous avons pu le démontrer (voir la présentation de la Smart Metrology).

S’il est évident qu’à l’achat, l’étalonnage d’un moyen est indispensable pour s’assurer qu’il n’est pas défaillant (et de préférence avant de l’avoir payé, pour éviter tout litige), la réalité industrielle impose de pouvoir s’assurer au quotidien qu’il répond toujours aux performances qu’on attend de lui.

Note : ce billet n’a pas pour objectif de décrire la méthode qui permet de définir les limites de performance acceptables mais rappelons tout de même qu’elles doivent être établies non seulement à partir du bilan d’incertitude (en comparant l’impact de l’instrument par rapport aux autres facteurs d’incertitude) mais aussi des risques Client et Fournisseur acceptables associés (voir NF ISO/CEI Guide 98-4).

L’objectif est ici d’alerter les métrologues, les auditeurs et l’entreprise en général sur le fait que, bien que la périodicité arbitraire calendaire soit pratiquée depuis longtemps, elle relève plus de l’habitude (et les habitudes ne sont pas toujours bonnes !) que de la performance (indispensable au devenir de toutes les entreprises).

Même s’il existe des méthodes qui permettent de définir une périodicité optimisée, c’est à dire tenant compte de l’évolution et/ou du poids de l’instrument dans son contexte, de sa situation et de sa limite d’acceptation (voir par exemple ce billet ou celui-ci), aucune ne permet de deviner la date et l’heure d’un éventuel accident qui pourrait remettre en cause les caractéristiques de l’instrument. Or, cet accident peut avoir lieu à tout moment, par exemple lors du déballage du colis de retour de l’étalonnage dans lequel un magnifique « constat de vérification » l’annoncera « conforme » alors que la chute lui aura été fatale et remettra en cause ce jugement sans que le métrologue en ait forcément conscience. Rendez-vous dans un an ou deux pour le savoir ? Décidément, je ne veux définitivement pas être dans cet avion…

La solution la plus pertinente est de toute évidence à rechercher ailleurs. La métrologie légale répond indiscutablement à sa problématique, mais elle n’est malheureusement pas celle des industriels ! Il est donc grand temps d’inventer un autre modèle et la Smart Metrology commence par là ! Comment garantir que chaque jour l’instrument fait son boulot, et comment détecter une anomalie le plus rapidement possible pour pouvoir agir, et non pas réagir ?

Les surveillances, par ailleurs préconisées par les normes, sont trop souvent négligées car probablement plus difficiles à juger, notamment par les auditeurs (pas de logo COFRAC, pas de traçabilité, pas de normes précises, …). Il est aussi possible que le peu de soutien dont elles bénéficient de la part des prestataires d’étalonnages (on peut comprendre pourquoi…) n’aide pas vraiment à leur vulgarisation. Elles sont pourtant une (la ?) solution efficace, et souvent peu (ou pas) coûteuses pour détecter une anomalie en temps quasi réel et agir, de façon conditionnelle (j’étalonne parce que j’ai un doute) plutôt qu’arbitraire (j’étalonne parce qu’une échéance arbitraire est arrivée).

Du simple caillou sur la balance (ou la mesure d’une pièce connue avec un pied à coulisse) à la comparaison inter-instruments (qui fait l’objet actuellement d’un groupe de travail AFNOR, voir ce billet ou ce PowerPoint), les solutions n’ont pour limite que l’imagination du métrologue. Plutôt que de se focaliser sur des dates arbitraires, le métrologue (devenu Smart) s’interroge sur ses capacités internes et quotidiennes à détecter une anomalie sur le moyen de mesure. L’histoire montre d’ailleurs que les industriels font en permanence des surveillances, comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir… Quel métrologue n’a pas déjà vu un opérateur ramener de lui-même (sans attendre une date sur une étiquette) un instrument parce qu’il doutait de ses indications ? On pourrait d’ailleurs tous s’interroger, avec le recul (près de 30 ans d’ISO 9001 pour certains), sur le nombre de fois où la détection d’une vraie « non conformité instrumentale » a été détectée en interne plutôt que lors de l’étalonnage périodique. Certes, le prestataire (interne ou externe) en déclare parfois mais combien de fois ces déclarations ont eu un impact réel sur la production, c’est à dire ont imposé un retour de produits vendus/livrés ?

Note : je profite de ce billet pour vous interroger sur ce point : pouvez-vous nous faire part de vos expériences sur ce sujet en répondant à ce tout petit questionnaire. Nous publierons un billet pour faire une synthèse de vos réponses et partager ainsi vos expériences.

Je ne doute pas que les réponses permettront à tout le monde de se rassurer sur la pertinence des surveillances versus les étalonnages calendaires arbitraires…

A ce stade des explications, j’espère que chacun pourra admettre que l’étalonnage périodique calendaire est une pratique d’un autre monde (la métrologie légale) qui ne répond pas à la situation industrielle : maîtriser les risques associés à chaque décision, chaque jour… 

Souvent, les auditeurs, non experts dans le domaine, évaluent la métrologie en se basant sur les informations qu’ils ont à leur disposition, c’est-à-dire les pratiques qu’ils rencontrent dans les autres entreprises. Il ne tient donc qu’à nous, les Smart Métrologues, de faire changer les choses, et de leurs monter ce qu’est une métrologie raisonnée. Il faudra bien sûr un peu de temps, mais si on ne commence pas un jour, on ne changera jamais. Nous travaillons donc pour les générations futures et je crois pouvoir dire qu’elles nous en remercieront…

Smart Métrologue

Merci de m’aider dans cette tâche !

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