Risque Client, Risque Fournisseur : illusion ou réalité ?
La métrologie, science de la mesure[1], a permis l’émergence du monde dans lequel nous vivons. Sans elle, les découvertes de Newton, d’Einstein, de Higgs et de tous les autres ne seraient que des « expériences de pensées » sans applications concrètes. La métrologie a permis de valider leurs théories, voire de contribuer à l’émergence de ces théories. La compréhension des mécanismes de la nature a été de pair avec le développement de toute une technologie qui fait notre quotidien. Je vous invite à imaginer le monde sans nos connaissances actuelles et leurs déclinaisons…
Dans un cadre plus commun pour la plupart d’entre nous, la métrologie a organisé les échanges commerciaux en garantissant la loyauté et donc la confiance. Avant elle, le doute régnait à tel point que nos anciens exigeaient « Un roi, une loi, un poids et une mesure ». Cette question n’est plus au cœur des préoccupations de nos contemporains, du fait de l’action de la Métrologie Légale. Le commerce a dès lors pu se développer en confiance, à l’échelle internationale. Ici, la décision qui résulte d’une mesure s’exprime sous la forme d’un prix. Un peu plus, un peu moins, qu’importe finalement pourvu qu’il n’y ait pas de triche et que chacun de nous soit traité de la même façon. Pour cela, l’État fait en sorte que les aléas liés aux mesures ne favorisent, ni le client, ni le commerçant. On peut parler alors de partage des risques.
Dans le monde industriel en revanche, les mesures fondent des décisions très différentes : le procédé doit-il être réglé ? Le produit est-il conforme ? Le patient est-il malade ? Comme les mesures ne sont pas, et ne peuvent pas (pour une multitude de raisons) être justes, les décisions ne peuvent pas être certaines. Dès lors, il existe un risque associé à chaque décision, il nous faut l’accepter ; cela est inexorable.
En réalité, il n’existe pas un seul risque, mais deux. En effet, le client d’un fournisseur peut se tromper en décidant que la pièce qui lui est livrée est bonne alors qu’elle ne l’est pas (Risque dit Risque Client), ou se tromper en décidant que la pièce n’est pas bonne alors qu’elle l’est en réalité (Risque dit Fournisseur). De même pour un patient, on peut penser qu’il n’est pas malade alors qu’il l’est en réalité. Il ne bénéficie donc pas du traitement idoine et peut alors se retrouver en danger. On peut aussi penser qu’il est malade alors qu’il ne l’est pas. Dans ce cas, il subit, à tort, un traitement inutile aux conséquences éventuellement néfastes pour lui (effets secondaires,…). Ce dernier exemple montre à l’évidence que le patient subit lui-même les deux risques, tout comme le client de la pièce de l’exemple précédent subit lui aussi les deux risques : il peut recevoir une pièce non conforme et le prix des pièces qu’il achète tient compte évidemment de celles qu’il n’a pas reçues, c’est-à-dire celles qui ont été rebutées, qu’elles aient été conformes ou non.
L’estimation de ces risques relève d’une science qui n’est pas directement celle de la métrologie. La statistique est la science qui s’attache à évaluer des probabilités, probabilités qui deviennent des risques lorsqu’une décision est prise. Et la statistique montre que les deux risques, Client et Fournisseur ne s’équilibrent pas simplement. Baisser l’un de quelques pourcents fait augmenter l’autre de plusieurs dizaines de pourcents. La relation n’est pas linéaire… L’efficience peut alors se définir comme la capacité à trouver un équilibre entre ces risques. Pour cela, la représentation probabiliste de notre réalité est un passage quasi-obligatoire.
De nos jours, l’approche est très différente. Nous nous attachons essentiellement à garantir le risque Client, coûte que coûte. Nous sommes donc souvent amenés à exiger beaucoup trop, pour être sûrs. Cette stratégie nous permet de négliger les erreurs de mesure ce qui fait que nous pouvons limiter sans gros risques la métrologie aux seuls étalonnages/vérifications, dans l’esprit « qui peut le plus peut le moins ». Or, cette stratégie est sournoisement très coûteuse car des exigences surdimensionnées peuvent induire des surcoûts qui sont difficilement supportables de nos jours et ce pour différentes raisons : concurrence internationale, énergie, matières premières, pollution,…
« Nous n’héritons pas de la Terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ». Cette magnifique phrase d’Antoine de Saint-Exupéry nous invite à une remise en cause de nos pratiques. La technologie disponible aujourd’hui nous permet d’améliorer la pertinence de nos choix et de nos décisions. La métrologie et la statistique sont les sciences qui participent à la démonstration de cette pertinence. En ce sens, elles sont des piliers de l’Industrie du Futur car le Futur ne sera pas si nous ne sommes pas capables de gérer nos ressources par un management de la connaissance digne de l’enjeu qu’est notre survie, management apte à nous faire prendre les décisions justifiées qui s’imposent.
En devenant Smart, la métrologie peut devenir un pilier essentiel de ce management, en garantissant la pertinence des décisions. Laurent Leblond (Groupe PSA) et moi-même, avec le soutien de Deltamu, avons initié ce mouvement. Nous continuerons à œuvrer pour que les métrologues se saisissent de cette magnifique opportunité. Participer à l’histoire du « juste nécessaire », du respect des ressources, s’inscrire dans l’esprit de Saint-Exupéry ne sont-ils pas des challenges plus passionnants et enthousiasmants que la gestion d’un planning !?
[1] Et non uniquement « Science des instruments » telle que nous la considérons souvent au travers des seuls étalonnages/vérifications. Ils sont inclus dans la métrologie, certes, mais ils ne s’y substituent pas !